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La nouvelle entreprise individuelle et la fin de l’EIRL

Avec la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante (publiée au JORF n°0038 du 15 février 2022) un statut unique pour les entrepreneurs individuels pour protéger de leur patrimoine personnel a été créé.
En effet, ce nouveau statut consiste notamment à rendre le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel insaisissable par ses créanciers professionnels. Enfin en principe…
Le statut de l’entrepreneur individuel est réservé aux personnes physiques. L’article L. 526-22 du Code de commerce définit « l’entrepreneur individuel comme personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes ».
Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel s’applique à tous ceux qui exercent individuellement notamment :
- au commerçant immatriculé au RCS,
- à l’artisan immatriculé au répertoire des métiers,
- au professionnel libéral immatriculé à l’URSSAF.
La loi établit qu’un créancier ne peut engager une procédure d’exécution à l’encontre d’un débiteur entrepreneur individuel que sur les biens du patrimoine sur lequel le créancier dispose d’un droit de gage général*. Autrement dit, chacun est garant du bon paiement de ses dettes sur son patrimoine.
Depuis 2010, le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) permet à un entrepreneur individuel de détenir un patrimoine professionnel intitulé « patrimoine d’affection ». Ce statut au succès mitigé en raison de difficultés de gestion juridique cessera progressivement de s’appliquer. Depuis la promulgation de la Loi, il n’est plus possible de créer de nouvelles EIRL. Pour ce qui est des EIRL existantes, elles peuvent perdurer jusqu’à ce qu’elles soient arrêtées notamment par apport à une EI ou une société. Néanmoins, les principaux avantages de l’EIRL sont repris dans le nouveau statut de l’entrepreneur individuel.
En résumé :
- Pour les nouvelles entreprises individuelles : le nouveau régime de l’entreprise individuelle s’applique à toutes les créations d’entreprises individuelles trois mois après la promulgation de la loi (article 19 de la Loi). La loi a été publiée au JORF le 15 février. Bref : les nouvelles EI sont opérationnelles au 15 mai 2022.
- Pour les entreprises individuelles déjà créées : pour les entreprises individuelles déjà créées avant la réforme, la dissociation des patrimoines ne s’appliquera qu’aux nouvelles créances à compter de l’entrée en vigueur de la loi.
Attention : nous sommes toujours dans l’attention de plusieurs décrets d’application pour les conditions d’application de plusieurs dispositions.
La grande nouveauté de cette loi : la séparation du patrimoine personnel et professionnel
Désormais, bien que, comme toute personne physique, l’entrepreneur individuel ait qu’un patrimoine, il bénéficie à l’intérieur de celui-ci de biens utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes.
Ce sont ces biens qui constituent ce que l’on appelle désormais « patrimoine professionnel » : biens, droits, obligations et sûretés dont le professionnel est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes.
L’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers professionnels que sur son « seul patrimoine professionnel ». Attention : il existe des exceptions. Si l’entrepreneur décide ou accepte de se porter garant d’engagement professionnel sur son patrimoine personnel alors ce principe protecteur n’existe plus pour ces créances. C’est ce que l’on appelle les sûretés conventionnelles ou renonciation prises à l’égard de certains créanciers.
La séparation des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal. Cela s’explique par l’unité des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel.
Attention : la Loi ne donne pas une liste précise des « éléments nécessaires à l’activité professionnelle ». Que compose le patrimoine professionnel ? Peut-on considérer les actifs figurant au bilan de l’entreprise comme des machines, des équipements, des marchandises comme composant le patrimoine professionnel ? Probablement. Pour le moment, on ignore si les biens professionnels seront ceux indiqués au bilan tout simplement… Certainement… Il faudra attendre un décret en Conseil d’État prévu pour répondre à cette question.
Et si vous demandez ce qu’est le patrimoine privé ? Les éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel.
A la distinction des patrimoines, il convient de distinguer deux types de créanciers.
- Les créanciers personnels qui ont le droit de saisir son patrimoine personnel ;
- Les créanciers professionnels qui ont le droit de saisir son patrimoine professionnel.
Grande simplicité et nouveauté de cette loi : la séparation des patrimoines s’effectue automatiquement, sans que l’entrepreneur individuel ait à effectuer une quelconque démarche administrative ou qu’il soit obligé d’informer ses créanciers.
Et maintenant les exceptions à cette séparation !
Des exceptions à la règle de la séparation des patrimoines existent. La loi prévoit que certaines situations échappent à cette séparation des patrimoines. A certaines conditions, les créanciers pourront exercer leur droit de gage sur l’ensemble du patrimoine du débiteur.
C’est le cas notamment pour les situations suivantes :
- L’entrepreneur individuel pourra notamment renoncer au bénéfice de la séparation du patrimoine en faveur d’un créancier professionnel. Cette possibilité vise notamment à lui faciliter l’obtention de crédit bancaire.
- En cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales et sociales par l’entrepreneur individuel, le droit de gage de l’administration fiscale et des organismes de sécurité sociale portera sur l’ensemble de ses patrimoines professionnel et personnel.
- Le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l’activité professionnelle dont est redevable la personne physique exerçant une activité professionnelle en tant qu’entrepreneur individuel ou son foyer fiscal peut être recherché sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel.
- Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis et ne sont donc plus séparés. Il en est de même en cas de décès de l’entrepreneur individuel.
- Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à l’égard d’un entrepreneur individuel relevant du statut, le tribunal peut condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute alors sur son patrimoine personnel. Notamment en cas de comportement dolosif. C’est l’équivalent de la « faute de gestion » en droit des sociétés.
Bref, vous l’avez compris, le cloisonnement entre les patrimoines personnels et professionnels est loin d’être absolu. Ainsi et à titre d’exemple, si le patrimoine personnel du débiteur est insuffisant pour satisfaire ses créanciers personnels, le débiteur peut demander que leur droit de gage général s’exerce sur son patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos.
Autre point de vigilance à avoir sur ce cloisonnement fragile : en cas de mesures d’exécution forcée (saisie) ou de mesures conservatoires sur le patrimoine du débiteur, il revient à l’entrepreneur individuel d’apporter la preuve de ce qui appartient au patrimoine personnel et au patrimoine professionnel. Bref ! c’est à l’entrepreneur individuel de prouver la composition de chaque patrimoine soumis au périmètre du droit de gage général du créancier. Pour éviter les abus et les comportements excessifs des créanciers, la loi a ajouté une mise en jeu de la responsabilité d’un créancier saisissant avec abus lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son droit de gage général.
Autre point d’attention : les procédures collectives ! (Art. L681-2 ; VI et VII du Code de commerce).
Le jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire emporte, de plein droit, jusqu’à la clôture de la procédure ou, le cas échéant, jusqu’à la fin des opérations du plan, interdiction pour tout débiteur entrepreneur individuel, sous réserve du versement de ses revenus, de modifier son patrimoine professionnel, lorsqu’il en résulterait une diminution de l’actif de ce patrimoine.
NB : en cas d’ouverture de procédure collective, chaque entrepreneur peut avoir jusqu’à deux patrimoines professionnels pour exercer deux activités distinctes. En effet, sur la demande du débiteur et avec l’autorisation du juge-commissaire ou du tribunal, un autre patrimoine professionnel de l’entrepreneur peut être créé. Ce nouveau patrimoine professionnel n’est pas concerné par la procédure ouverte.
En parallèle, les mesures de surendettement à un débiteur ayant une activité professionnelle sont adaptées pour tenir compte de l’existence du patrimoine professionnel. C’est une avancée notamment pour ne pas nuire à l’activité professionnel lorsqu’un couple connait des difficultés financières relevant de la vie personnelle.
Enfin, cette loi a vocation à faciliter le passage de l’entreprise individuelle vers la société. Mais pas que…
L’entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans avoir à procéder à la liquidation de celui-ci (art.L.526-27, al.1 du Code de commerce).
Le législateur rappelle que le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés.
Le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci est constitué. Lorsque le bénéficiaire est une société, le transfert des droits, biens et obligations peut revêtir la forme d’un apport (art.L.526-27, al.2 du Code de commerce.
En conclusion, cette réforme va bouleverser le plus vieux régime juridique entrepreneurial. Aussi et afin d’en mesurer les conséquences, il est prévu que le gouvernement remet un rapport avant mars 2024 sur l’application du nouveau statut de l’entrepreneur individuel, de son impact sur l’accès au crédit des indépendants et des potentiels abus du recours à la demande de renonciation de la part notamment des banques.
Lexique :
*Droit de gage général signifie que « quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir (article 2284 du code civil). « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence » (article 2284 du code civil).